Agir ou se taire

Mercredi 25 Février 2015

NEW YORK – En matière de politique publique, de pourparlers de paix, de campagnes électorales ou de stratégie d'entreprise, exposer des intentions, des promesses et des engagements ne suffit jamais. Ce n'est qu'une première étape vers une fin souhaitée (et tout à fait dénuée de sens à moins que ne soient prises les deuxième, troisième mesures, ainsi que toutes les mesures nécessaires suivantes. En outre, prendre l'initiative de la première étape enclenche le compte à rebours de la confiance mutuelle grâce à laquelle les prochaines étapes seront effectivement entreprises par les autres. Si ce n'est pas le cas, cela risque de créer la fausse impression que l'incapacité d'atteindre un objectif particulier reflète des intentions erronées (voire non pertinentes), plutôt qu'une mauvaise exécution. Nous pouvons trouver des exemples de cela pratiquement partout.


Lucy P. Marcus est PDG de Marcus Venture Consulting.
Lucy P. Marcus est PDG de Marcus Venture Consulting.
Voyons par exemple l'annonce faite en janvier  par la Banque Centrale Européenne de mettre en œuvre l'assouplissement quantitatif. À l'époque, de nombreux dirigeants semblaient penser que ce coup de la BCE suffirait : l'annonce une fois faite et la planche à billets mise en marche, l'économie serait alors remise d'aplomb. Malheureusement ce n'est pas comme cela que fonctionne la politique monétaire : l'assouplissement quantitatif ne suffira pas et personne ne doit être naïf à ce sujet.
Afin de remettre l'économie d'aplomb, l'assouplissement quantitatif est une étape utile, mais seulement dans le cadre d'un ensemble de mesures plus étendu. En l'absence d'autres réformes économiques, l'assouplissement quantitatif à lui seul ne peut réaliser les changements nécessaires pour relancer la croissance. Et si les réformes ne sont pas mises en œuvre et que la croissance ne se concrétise pas, les politiciens sont susceptibles de rejeter la faute sur l'assouplissement quantitatif, pas sur leur propre échec à prendre toutes les autres mesures qui doivent suivre sur la voie du redressement économique.
Même chose pour la liberté d'expression. Après le massacre contre le journal satirique Charlie Hebdo à Paris le mois dernier, les dirigeants du monde se sont précipités sur les lieux, ont fait front et ont défilé pour défendre la liberté d'expression comme étant le principe fondamental des sociétés civilisées. La prochaine étape naturelle pour un bon nombre d'entre eux aurait dû consister à rentrer chez eux et à appliquer immédiatement ce principe. Au lieu de cela, ils sont rentrés chez eux.
Certes, le régime militaire de l'Égypte (dont la présence du ministre des Affaires étrangères Sameh Shoukry a fait tiquer quand il est apparu en tête du cortège à Paris), a fait sortir de prison le journaliste d'Al Jazeera Peter Greste et a depuis libéré sous caution deux autres journalistes, Mohamed Fahmy et Baher Mohamed. Mais qu'en est-il de la renonciation du régime au pouvoir de les avoir auparavant emprisonnés ?
Dans un autre domaine, celui des négociations de paix, le récent accord de cessez-le-feu en Ukraine n'est que la dernière tentative de mettre fin à la guerre entre le gouvernement du pays et les séparatistes soutenus par la Russie, qui fait rage depuis une grande partie de l'année dernière dans la région du Donbass oriental. Tout au long du combat, les tentatives pour arrêter le massacre se sont succédé et les victimes innocentes de la guerre (sans parler d'une grande partie de la communauté internationale), ont montré leur lassitude et leur cynisme face à la situation.
Les accords de paix les plus efficaces font partie intégrante d'un processus de paix. La première étape (la signature de l'accord), représente l'engagement des parties à prendre les mesures suivantes nécessaires. Les interlocuteurs rentrent chez eux en sachant très bien ce qu'ils sont censés faire, à quoi s'attendre de la part des autres et en connaissant les conséquences si les autres ne font pas ce qui est attendu. Lorsque des accords échouent, ce n'est généralement pas à cause de leur contenu, mais à cause de ce qui manque, ou à cause de ce que les signataires font en dépit de ce qu'ils ont accepté. Une feuille de route pour la paix n'est utile que si tout le monde la suit. Si ce n'est pas le cas, l'objectif est manqué.
Les campagnes électorales sont l'exemple par excellence de ce phénomène et le monde entre à présent dans une autre « période de la première étape ». Au moins sept élections législatives vont avoir lieu dans les pays membres de l'Union européenne cette année (et des élections régionales auront lieu en France au mois de mars). La Grèce a déjà voté (en élisant un gouvernement qui semble incapable d'aller au-delà des intentions et des engagements) et dans les prochains mois des élections auront lieu en Estonie, en Finlande, au Royaume-Uni, au Danemark, au Portugal, en Pologne et en Espagne. Ajoutez à cela les élections présidentielles américaines l'année prochaine (précédées par une campagne qui a déjà commencé) et nous pouvons nous attendre à beaucoup de promesses.
Comme les électeurs de ces pays croulent sous les bonnes intentions, les belles promesses et les engagements solennels, ils s'attendent à ce que les partis et les candidats y donnent effectivement suite s'ils sont élus. Certes les partis et les candidats tentent de convaincre les électeurs sur la base de leurs antécédents (et en contestant les antécédents de leurs adversaires). S'ils ne donnent pas suite à leurs intentions, à leurs promesses et à leurs engagements, avec un tel accès à l'information et aux communications instantanées, ces promesses creuses ne vont tout simplement plus convaincre personne.
Les campagnes d'entreprises connaissent la même situation. Elles envoient leurs dirigeants devant les organes législatifs exprimer leur contrition pour leurs graves malversations et promettre un bon comportement à l'avenir. Pourtant les manchettes des journaux sont remplies comme à l'accoutumée d'histoires contraires à l'éthique, voire tout bonnement criminelles, sur le comportement des entreprises. Malheureusement trop de dirigeants d'entreprises persistent à percevoir le monde selon un modèle « nous » contre « eux », plutôt que de tenter de comprendre pourquoi en l'absence d'action déterminée personne ne leur fait confiance.
Les débuts sont essentiels, mais ils ne sont que cela. Il n'y a pas de solution facile pour l'économie de la zone euro, pour la Grèce, pour l'Ukraine ou pour l'un des autres défis majeurs auxquels nous faisons face actuellement. Mais à moins que les protagonistes ne soient persuadés que les annonces, les promesses de campagne et les accords de paix donnent bien lieu à une action délibérée claire, ils doivent réfléchir à deux fois avant d'ouvrir la bouche.
Lucy P. Marcus est PDG de Marcus Venture Consulting.
 
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